DEMAIN LA PSYCHANALYSE

JEAN-MICHEL LOUKA

Pas de psychanalyse sans psychanalystes en exercice. Pas de psychanalyste sans la psychanalyse, comme théorie et pratique vivantes à questionner, inventer.

Le terme de psychanalyste est devenu aujourd’hui, un mot tabou ! Et d’autant plus tabou qu’il n’est pas précédé de l’expression par ailleurs. Vous pourrez entendre un : je suis psychiatre et, par ailleurs, psychanalyste, ou bien, je suis psychologue clinicien et, par ailleurs, psychanalyste… mais jamais : je suis un psychanalyste. Si vous le dites, – et je le dis -, l’on vous rétorquera immédiatement, faites-en l’expérience : psychanalyste, ça ne veut rien dire, ça n’existe pas. En fait, dites-moi, vous êtes psychiatre ou psychologue ?

Je suis un psychanalyste français, ce qui veut dire que ma langue, que l’on appelle maternelle, est le français.

J’ai quarante d’années d’expérience de cette praxis originale que Sigmund Freud a inventée sous le nom de psychanalyse, comme psychanalysant, contrôlé, puis psychanalyste et contrôleur moi-même. J’ai très bientôt soixante-onze ans.

Ma légitimité, – question cruciale en notre métier où l’université médicale ou de sciences humaines ne peut répondre par la délivrance de ses diplômes qui, en notre domaine disciplinaire, ne garantiraient à peu près rien, seraient-ils nationaux -, je la tiens de pouvoir, parmi mes pairs et à la suite de mes maîtres, me compter.

J’appartiens à la cinquième génération des psychanalystes dans le monde depuis Freud. Je peux ainsi décliner ma filiation  : Freud (0) eut, parmi ses premiers élèves, Hanns Sachs (1), qui analysa Rudolph Loewenstein (2), lequel fut l’analyste de Lacan (3). Ce dernier aura, parmi ses premiers élèves, Serge Leclaire (4). « Le premier psychanalyste lacanien », selon Elisabeth Roudinesco[1]. Je suis l’un des élèves de Leclaire, j’appartiens donc aussi à la deuxième génération des lacaniens. Ayant suivi l’enseignement de Lacan vivant, ce qui s’appelait son Séminaire, ayant pratiqué et m’étant déclaré praticien à son école du 69, rue Claude Bernard à Paris, je peux me dire disciple de Lacan, membre de son école et élève de Leclaire. Je ne suis donc pas un enfant illégitime du lignage freudien et de la psychanalyse. Freudien, je suis un lacanien.

Aujourd’hui, et depuis un certain nombre d’années déjà, je m’aperçois que je dispense une sorte de « formation » à quelques-uns de mes analysés ou de mes contrôlés, formation dont je ne me suis pas tout de suite aperçu moi-même, mais dont j’ai fini par être averti par ceux-là mêmes qui m’en témoignaient quelque chose, parfois à leur insu. Une transmission ainsi s’effectue, je me dois de le constater, pour ceux qui viennent, à mon cabinet, me demander une analyse ou un contrôle, et spécialement quand ils prennent soin d’en pousser, avec un certain courage, ce qui n’est pas donné à tout le monde, jusqu’à son terme ladite effectuation. Alors, mais alors seulement, ils rencontrent, lacaniennement, que l’analyste ne s’autorise que de lui-même.

Voici ma “vision” des choses. Elle repose sur quelques principes.

-       Il ne s’agit pas de se servir de la psychanalyse, mais il s’agit plutôt de la servir.

-       Il s’agit de la défense et de l’illustration de la psychanalyse  – cette praxis originale inventée par Freud -, parce qu’elle est sérieusement menacée d’assasinat et d’extinction.

-       C’est le signifiant “psychanalyse” qui est à défendre et à illustrer. Pas les noms propres de Freud ou de Lacan ou de quelques autres. Ces noms, et leurs oeuvres, doivent prendre leur juste place dans l’histoire du mouvement psychanalytique qui continue.

-       Le monde a changé et depuis la disparition de Freud (Londres, 1939), et depuis celle de Lacan (Paris, 1981). Tous les grands noms qui ont marqué l’histoire de notre discipline s’en sont allés. Les derniers grands élèves de Lacan, pour nous français, sont en voie d’extinction. Ils disparaissent les uns après les autres. En reste-t-il même encore dix à ce jour ?

-       La société française, parmi les sociétés occidentales, est en pleine mutation. La psychanalyse ne s’y pratique plus comme il y a quarante ans, je puis en témoigner. Les pures demandes d’analyse se sont progressivement raréfiées. Les plus jeunes d’entre nous souffrent ainsi d’un manque criant de clientèle pour s’installer, mais ce fait doit être tu dans les societés,…Chut ! Pourquoi ne pas dire que le Roi est nu ?

-       La psychanalyse est, en France, critiquée, attaquée de toutes parts, combattue, voire interdite (Cf. dans le domaine de l’autisme), tout cela avec le consentement aveugle et veule des pouvoirs publics trop facilement conquis par les psychothérapeutes et leurs cinq cents techniques de psychotherapies. Qui a connu Freud vivant ? Personne, bien sûr. Qui a connu Lacan vivant… ? Quelques-uns encore qui se retrouvent en charge aujourd’hui de ce que l’on appelle l’enseignement, la formation, en un mot la transmission.

-       Les plus jeunes d’entre nous n’ont plus alors qu’un rapport livresque aux textes de Freud, Ferenczi, Abraham, Ana Freud, Mélanie Klein, Donald Winnicott et Lacan. Et le danger serait de laisser l’Université former en théorie les esprits des plus jeunes sous le contrôle de l’Etat, puisqu’en pratique elle ne le peut.

-        Tous les modèles d’institution pour la psychanalyse ont été, depuis belle lurette, tentés, essayés, proposés/imposés, expérimentés. Tous ont échoué, il faut quand même le dire, au bout de quelques mois ou de quelques années : le modèle de l’Eglise (I.P.A.), le modèle de l’Armée (E.C.F.), le modèle de l’école antique de philosophie (celui dont se réclamait Lacan à la fondation de son école, en 1964, l’E.F.P.).

-       Je pense qu’il faut être modeste, humble. Ce qui n’empêche nullement d’être rigoureux.

-       Aucun analyste à venir ne pourra socialement et psychanalytiquement rester isolé, sans attache institutionnelle a minima. Les pouvoirs publics et les autres professionnels du champ psychique (psychiatres, psychologues, psychothérapeutes), comme le public, ne supporteront plus, à l’avenir, cette solitude socio-professionnelle du psychanalyste rabattue sur un supposé charlatanisme incontrôlé. Du point de vue de ce praticien appelé “psychanalyste”, il serait encore plus dangereux de “se croire être” psychanalyste, seul dans son coin. La psychose et/ou la perversion le rattraperaient bien vite pour l’habiter à son insu.

-       Nous, les psychanalystes d’aujourd’hui, nous ne voulons plus être pris en 2016 dans les déviations et les compromissions qui affectent notre pratique et notre présence au monde au contact de la psychiatrie biologique et comportementaliste, de la psychologie et des psychotherapies. Notre pratique s’y trouve déconsidérée, y dégradant son emploi et amortissant d’autant son progrès. Nous voulons faire résonner la sonnette d’alarme et restaurer le soc tranchant de la vérité.

-       – Car c’est ainsi, c’est bien la vérité, oui la vérité, que vise la psychanalyse. La vérité du sujet, celle de son désir, d’un sujet divisé entre vérité et savoir.

-        Si l’ambition nous habitait  – et pourquoi ne nous habiterait-elle pas ? -, nous pourrions parler en utilisant des gros mots : Relance, renouveau, voire renaissance ou reconquête de la psychanalyse en ce pays, la France, et du devoir qui lui incombe en ce monde. Voilà quels seraient les maîtres-mots.

-       Je suis pour un ensemble, un collectif, inévitablement, sans doute, une association loi 1901, simple, claire, basique, ouverte, non-autoritaire, avec une seule catégorie de membres. Une association des amis de la psychanalyse. Que cette association porte un jour une école, ou non, est déjà une autre question, insoluble au jour d’aujourd’hui. Sinon quoi d’autre. Inventer quoi d’autre ?

-       Ce qui veut dire, dans mon esprit, qu’il faut revenir en-deçà de ce qu’entraîne, ipso facto, la notion lacanienne d’école : cartel et passe. Pour aller, un jour, au-delà, le fameux jenseits de Freud.

-       Une association, un groupement, un ensemble faisant collectif, institution de rattachement, port d’attache, “home”, havre, base de ressourcement mais aussi d’actions, cercle d’échanges de pairs, club,… pourquoi pas !

-       Le tout dans ce que Lacan avait nommé transfert(s) de travail, et j’ajouterai, un profond respect des différences.

Telle est ma conception à ce jour,… car demain la psychanalyse !

***

 

 


[1] Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, 2 tomes, Seuil, 1986.

 

À propos de Jean-Michel

Pratique la psychanalyse, à Paris, depuis fin 1976. Ancien Chercheur au CNRS Ancien Maître de Conférences des Universités Psychanalyste Attaché à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris)
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