Une lettre ouverte pour la psychanalyse

Une lettre ouverte pour la psychanalyse
(07-01-2020)

 

À tous ceux qui se disent, donc se prétendent « psychanalystes » (car cela reste et restera toujours une prétention), à juste raison ou non, qui le croient, qui le pensent ou que l’on dit tels, à tous ceux qui pratiquent (car c’est avant tout, et après tout, une praxis), ce que depuis Sigmund Freud il est convenu d’appeler la psychanalyse (donc n’est pas la médecine psychiatrique, pas la psychologie dite clinique, pas plus toute forme actuelle de psychothérapie), soit comme psychanalystes, soit comme psychanalysants, à tous ceux-là, cette lettre ouverte.

Les temps changent. Un monde nouveau nous arrive. Les psychanalystes doivent se réveiller. Le temps, le monde est nouveau chaque jour. Il est à réinventer chaque jour, à prendre en compte, à écouter… Les psychanalystes se sont endormis parce qu’ils ont baissé la garde, ils ont oublié ce principe fondamental, pendant trop longtemps, selon lequel, leur place, leur fonction de psychanalyste n’est pas un acquis « une fois pour toutes ». Non, elle est à remettre en question chaque jour pour ne pas être « hors jeu ». Hors jeu du temps, de la vie, de la société, du monde réel, de la Cité… Les psychanalystes se sont endormis, par suffisance, orgueil, absence de doute, outrecuidance, arrogance, vanité, autosatisfaction, condescendance…
Pas tous. En tout cas certains d’entre nous qui ne souhaitent plus se laisser réduire à moins que rien, se voir, sans réagir, rejetés ou épinglés avec des aiguilles d’entomologiste par le mépris dans les rebuts de l’Histoire des idées et des pratiques d’un autre Âge. Si la croyance d’un savoir « extra-subjectif », la facilité, la vulgarité, le mensonge, le laxisme, la complaisance, la compromission, le capitalisme, le court-termisme… gagnent, ce sera le signe que la psychanalyse a échoué.

Ajoutons aujourd’hui une autre croyance, quasi-religieuse, celle du Marché qui ne fonctionne que sur l’adaptation mercantile de l’offre et de la demande, au soi-disant moindre coût pour le public, c’est le « toujours moins cher » !
Celle du scientisme qui veut à tout prix se faire passer pour la Science, alors qu’il n’est que son idéologie .
Celle de l’évaluation administrative qui ne vise, pour mieux nous gérer, qu’à éradiquer la notion perturbatrice de « sujet » et à nous réduire à la notion « d’individu » normé, cadré, policé, discipliné… Des individus, dont « on » crée par des algorithmes, selon des groupes homogènes, les besoins et les envies et même transformer des symptômes en maladies…
Celle de la psychothérapie qui veut tuer la psychanalyse dont pourtant elle se nourrit et qui la fascine, pour simplement prendre sa place le plus vite possible, mais pour quoi faire de plus ?
Les psychanalystes ont laissé croire, à la société, que la psychanalyse était une psychothérapie (ce qui n’est pas faut en soi), mais une psychothérapie au même titre que les autres. Or là est le problème. La psychanalyse n’est pas une psychothérapie comme les autres, ses fondements, sa pratique, ses objectifs sont tout autres… Les psychanalystes, en laissant faire, ont de fait, par leur silence, admis qu’elle pouvait être enseignée, transmise, inculquée, professée dans des lieux réservés à l’instruction : l’Université ou les écoles de psychothérapie…
La croyance, enfin, de l’industrie pharmaceutique qui n’a de cesse de vouloir nous réduire à l’homme-machine-bio à qui il manquerait toujours quelque chose qu’elle se charge bien sûr d’apporter.

À l’heure où la folie est, à nouveau, trop souvent aujourd’hui criminalisée, alors qu’elle devrait plutôt être accueillie et traitée, accompagnée, soignée, des voix se font entendre pour contrer cette erreur qui sera lourde de conséquences. Des psychanalystes y participent et pensent que la loi de 1838 est obsolète et doit être reprise autrement. À l’heure où le DSM V s’est installé, des voix, parfois les mêmes, s’élèvent pour dire combien cette approche du phénomène dit mental, de tout le champ psychique, est inconvenant car il vise à l’éradication de la notion même de sujet, patiemment construite par plus d’un siècle d’expérience de la pratique psychanalytique. Les psychanalystes sont jusque-là montés au créneau (Manifestes français, italien, espagnol…, contre le DSM), sans trop de retombées probantes.

A l’heure, enfin, où les professions et autres métiers qui se rapportent à ce champ du psychisme subissent une remise en question et un bouleversement créant, sorti d’on ne sait où, sinon de la pression des psychothérapeutes qui a rencontré, par bon heur, la peur panique du gouvernement contre le phénomène sectaire, un titre contrôlé et donc protégé par l’Etat, ce sont les psychanalystes qui sont déjà depuis quelques années exposés et, in fine, voués à disparaître dans toutes les têtes d’importance ou de pouvoir mais aussi, grâce au « remarquable travail » en ce sens des Média, en direction du grand public qui suit trop facilement la pente à la mode qu’on lui propose, voire impose sans autre forme de critique
Ce n’est évidemment pas faux, dira-t-on, mais c’est un peu trop facile de rejeter toute la faute sur « ces autres ». Ce n’est pas aux journalistes de contredire les critiques multiples et unilatérales contre la psychanalyse. Seuls les psychanalystes peuvent et doivent le faire, du fait justement de la singularité de cette discipline. Il faut avoir usé son pantalon sur le divan, consommé des tonnes de mouchoirs, s’être frotté soi-même et ardemment aux forces de l’inconscient, du transfert… Où sont les psychanalystes pour parler, pour dire quelque chose de leur singularité, en regard de la société, à la société, en dehors de leurs cercles inaccessibles et de leur « entre-soi » ? N’ont-ils finalement pas trouvé leur place dans la société d’aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le titre de psychothérapeute doit être demandé et… mérité. On propose au psychanalyste de venir rejoindre le banc des psychothérapeutes d’Etat, sur une liste de… « psychothérapeutes d’orientation psychanalytique ». Notons bien, pas une liste de psychanalystes, encore heureux ! Pourquoi ? Parce que ceux qui lui demandent cela, au psychanalyste, le considère, ni plus ni moins, comme un ordinaire psychothérapeute, comme l’un des psychothérapeutes parmi tant d’autres ; Mais les psychanalystes ont-ils déclaré autre chose ? Comment voulez-vous que quelqu’un, en souffrance, démuni de ses facultés, en proie à l’angoisse et à son histoire, qui fait appel à l’autre, fasse la différence entre un psychothérapeute et un psychanalyste ? Les psychanalystes ne la font pas eux-mêmes ! Le tour de passe-passe est simple et même simplet. Le psychanalyste n’est considéré que comme un psychothérapeute. Signez là ! Psychanalystes, et vous serez, enfin, reconnus… comme psychothérapeutes.

Nous, psychanalystes, qui savons, pour l’avoir appris avant tout sur le divan, déjouer les pièges un peu plus retords de l’inconscient que celui que nous présentent sur un plateau d’argent (c’est le cas de le dire, car l’argent est l’un des ressorts essentiels de ce tour de prestidigitateur !) les services de l’Etat, allons-nous signer ? Allons-nous prendre la voie de la « servitude volontaire » et nous mettre, nous aussi, à détruire la psychanalyse en désertant ses rangs, faisant de nous, en quelque sorte, comment appeler cela autrement, des renégats de la psychanalyse, d’une psychanalyse qui nous a nourris et parfois « sauvés » de là où, sans espoir, nous souffrions, à qui nous devons tout ce que nous sommes devenus : des psychanalystes dignes de ce nom, freudiens et pour d’autres, freudiens aussi et lacaniens, qui n’acceptent pas de laisser glisser le signifiant à partir duquel ils ex-sistent ?

Vous êtes, nous sommes des psychanalystes, c’est notre prétention, nous exerçons quotidiennement cette étrange fonction à laquelle nous nous plions, qui ne ressortit  pas d’un être (pas d’être du psychanalyste, merci Lacan !) comme nous ne sommes pas sans le savoir, mais la langue est ainsi faite qu’il faut bien s’exprimer socialement de la sorte pour le public et ceux qui nous gouvernent.

« Psychanalystes pas morts, lettre suit ! ».

C’est plutôt à la lettre qu’il nous faut le rester, psychanalystes. Lorsqu’on cède sur les mots, disait Freud, l’on cède sur les choses. La psychanalyse transformée en psychothérapie et les psychanalystes transmués autoritairement en psychothérapeutes.         Aujourd’hui comme hier, les psychanalystes, en France sont libres d’exercer leur métier. Si aujourd’hui il existe un Master 2 de psychanalyse ou des Écoles de psychothérapie d’orientation psychanalytique, ce n’est pas à cause d’un régime politique totalitaire, autoritaire, despotique. Les psychanalystes, à l’Université, l’ont voulu.

Vous êtes, nous sommes des psychanalystes, nous pratiquons pour tout demandeur qui s’y risque, et si nous l’acceptons, cette toujours énigmatique chose qui s’appelle la psychanalyse, telle est notre étrange fonction au regard du monde. Nous ne sommes pas et ne serons jamais des psychothérapeutes agréés par les services de l’Etat, sauf à nous leurrer nous-mêmes les premiers.

Psychanalystes, souvenons-nous de l’exemple italien (loi 56) qui a vu la fin des psychanalystes laïcs selon le même procédé de sirènes que l’administration française met en œuvre aujourd’hui, dans sa légitime logique, à votre endroit : siphonner les rangs des psychanalystes pour les faire devenir, d’eux-mêmes de préférence  – dans un premier temps, on verra plus tard pour la forme autoritaire s’il y a lieu -, des psychothérapeutes agréés par l’Etat. Exit alors le psychanalyste et la psychanalyse, laïcs du nom.

Disons NON aux sirènes ! Rejoignons nos cabinets, nos consultoires, là où est notre place, notre place pour y exercer, pratiquer notre seule fonction de tenir bon face au symptôme. Tâche ingrate autant que magnifique, tâche à laquelle toute leur vie durant un Sigmund Freud, comme un Jacques Lacan, comme bien d’autres encore, ne renoncèrent. Un psychanalyste meurt dans son fauteuil, il n’est pas dans ses idées d’être cité à l’ordre de la Nation. Le dés-ordre reste son lot.

Et c’est bien ce qui est ici à entendre : faisons notre boulot de psychanalyste, vraiment, entièrement, sans compromis. Cependant, le travail, la tâche en ce monde d’un psychanalyste ne s’arrête pas là, à son cabinet. Il fait, aussi, parti de la société, de la Cité.
L’aurait-il oublié au fil du temps ? En ça, il a aussi une responsabilité sociétale. On ne peut comprendre quelque chose de la psychanalyse qu’en en faisant une ! Certes, c’est comme la natation ! Toutefois, les psychanalystes doivent apporter leur éclairage singulier sur les questions de société, de vie, de désir, d’amour et de mort… On doit, la société doit pouvoir les entendre, arriver à les entendre,… si eux-mêmes s’en donnent, aujourd’hui, un tant soit peu la peine.

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À propos de Jean-Michel

Pratique la psychanalyse, à Paris, depuis fin 1976. Ancien Chercheur au CNRS Ancien Maître de Conférences des Universités Psychanalyste Attaché à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris)
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