Mort versus transmission


La psychanalyse est une discipline mortelle. Elle pourrait disparaître, mourir, sans que beaucoup s’en aperçoivent… C’est une question de transmission. Laquelle prend un relief tout particulier lorsqu’il s’agit de la psychanalyse, et pour autant que celle-ci n’est pas une science physico-mathématique au sens expérimental actuel (« science dure »), ou une science dite « humaine » (« molle ») ou encore une médecine. Elle n’est ni une religion, ni une philosophie, ni même une pédagogie ou quelque idéologie. Raisons suffisantes pour la voir nécessairement « mordre » sur ce monde et, au sein même de cet « immonde », pouvoir y rencontrer encore quelques « mordus » par Freud, par Lacan ou quelques autres…

Jacques Lacan rappelait souvent que Freud s’était préoccupé de la transmission de la psychanalyse. Le comité qu’il avait chargé de cette tâche n’avait rien pu faire d’autre que de se transformer en internationale, l’I.P.A.. On sait ce qu’il advînt de cette institutionnalisation de la psychanalyse, ce que Lacan déplora pour l’avoir lui-même éprouvé sous la forme de son « exclusion » de ladite internationale en 1963. Son « excommunication », comme il disait, se référant à celle, dite « majeure » vécue par Spinoza.

Lacan énonçait que Freud avait inventé cette histoire assez loufoque qu’il appela l’inconscient, allant même à supposer que l’inconscient pourrait bien être un délire freudien.

En 1978, il finit par dire :

« Tel que maintenant j’en arrive à le penser, la psychanalyse est intransmissible. C’est bien ennuyeux. C’est bien ennuyeux que chaque psychanalyste soit forcé – puisqu’il faut bien qu’il y soit forcé – de réinventer la psychanalyse.
Si j’ai dit à Lille que la passe m’avait déçu, c’est bien pour ça, pour le fait qu’il faille que chaque psychanalyste réinvente, d’après ce qu’il a réussi à retirer du fait d’avoir été un temps psychanalysant, que chaque analyste réinvente la façon dont la psychanalyse peut durer. […]
Alors comment se fait-il que, par l’opération du signifiant, il y ait des gens qui guérissent ? Car c’est bien de ça qu’il s’agit. C’est un fait qu’il y a des gens qui guérissent. Freud a bien souligné qu’il ne fallait pas que l’analyste soit possédé du désir de guérir ; mais c’est un fait qu’il y a des gens qui guérissent, et qui guérissent de leur névrose, voire de leur perversion.
Comment est-ce que ça est possible ? Malgré tout ce que j’en ai dit à l’occasion, je n’en sais rien. C’est une question de truquage. Comment est-ce qu’on susurre au sujet qui vous vient en analyse quelque chose qui a pour effet de le guérir, c’est là une question d’expérience dans laquelle joue un rôle ce que j’ai appelé le sujet supposé savoir. Un sujet supposé, c’est un redoublement. Le sujet supposé savoir, c’est quelqu’un qui sait. Il sait le truc, puisque j’ai parlé de truquage à l’occasion ; il sait le truc, la façon dont on guérit une névrose. […]
J’ai essayé d’en dire un peu plus long sur le symptôme. Je l’ai même écrit de son ancienne orthographe. Pourquoi est-ce que je l’ai choisie ? s-i-n-t-h-o-m-e, ce serait évidemment un peu long à vous expliquer. J’ai choisi cette façon d’écrire pour supporter le nom symptôme, qui se prononce actuellement, on ne sait pas trop pourquoi « symptôme », c’est-à-dire quelque chose qui évoque la chute de quelque chose, « ptoma » voulant dire chute.
Ce qui choit ensemble est quelque chose qui n’a rien à faire avec l’ensemble. Un sinthome n’est pas une chute, quoique ça en ait l’air. C’est au point que je considère que vous là tous tant que vous êtes, vous avez comme sinthome chacun sa chacune. Il y a un sinthome il et un sinthome elle. C’est tout ce qui reste de ce qu’on appelle le rapport sexuel. Le rapport sexuel est un rapport intersinthomatique. C’est bien pour ça que le signifiant, qui est aussi de l’ordre du sinthome, c’est bien pour ça que le signifiant opère. C’est bien pour ça que nous avons le soupçon de la façon dont il peut opérer : c’est par l’intermédiaire du sinthome.
Comment donc communiquer le virus de ce sinthome sous la forme du signifiant ? C’est ce que je me suis essayé à expliquer tout au long de mes séminaires. Je crois que je ne peux pas aujourd’hui en dire plus. » [1]

Lacan n’en dira pas beaucoup plus, car nous sommes à la Maison de la Chimie, à Paris, le dimanche 09 juillet 1978. Il vient de conclure le IXè Congrès de l’Ecole freudienne de Paris, consacré à la transmission. Il arrive à la fin de son œuvre et de sa vie. Le 05 janvier 1980, il va dissoudre son école. Jacques Lacan meurt à Paris, le 09 septembre 1981.

[1] Jacques Lacan, Lettres de l’Ecole freudienne de Paris, N°25 (II), juin 1979.

À propos de Jean-Michel

Pratique la psychanalyse, à Paris, depuis fin 1976. Ancien Chercheur au CNRS Ancien Maître de Conférences des Universités Psychanalyste Attaché à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris)
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